palm bay

« Si lui était un alligator, toi t’étais plus un serpent venimeux. »

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Un autre lundi. Avril, maintenant. C’était le soleil au travers la fenêtre qui m’avait réveillée. Ma pôle de rideaux était tombée pendant la nuit. Criss de chats. Je devais tout faire toute seule maintenant. Ouvrir mes pots de végénaise, monter les meubles Ikéa pis manger la montagne de crêpes que je faisais le matin en pensant encore qu’on allait être deux.

Passer autant d’années avec toi et du jour au lendemain faire comme si t’existais pu. Pu de bonne-nuits avant de se coucher, pu de bon-matins. Pis en même temps j’avais pu le réflexe de le faire non plus. Échapper mes habitudes avec vitesse, perte de la tradition. Gros bloc de ma vie disparu, presque inventé. Existais-tu vraiment. T’avoir inventé, je t’aurais sûrement fait moins trou d’cul.

D’habitude ça prend du temps avec quelqu’un avant que j’aie de la jasette mais j’aimais ça t’parler, ça coulait ben. Je sais que j’disais souvent des affaires insignifiantes, des jokes plates, j’aimais ça faire la conne. Mais c’est aussi que vers la fin j’avais pu l’impression que ça servirait à d’quoi de dire des choses importantes. Ç’allait rien changer pentoute de dire comment j’me sens. Ça intéressait qui, en fait, de le savoir. J’étais à peine capable de le mettre en mots moi-même le comment-je-me-sens. Je l’savais depuis un boutte, tho, que la majorité du monde écoutait dans l’but de répondre, pas de comprendre. Le monde écoute pour parler. Ça posait des questions avec déjà leur anecdote en tête. Moi je répondais n’importe quoi pour être polie parce que je savais que ça importait peu. Je pouvais dire c’que j’voulais.

Je m’invente à moitié, mes réponses sont des répliques bien rodées.

Personne s’en rendait compte parce qu’au final ça les intéressait pas vraiment. J’avais appris à bien écouter maintenant que j’avais pu rien à dire. Sauf si j’ai fini par te dire des choses, c’est que t’étais important pour moi. Quand j’étais maladroite, que j’m’ouvrais, que je te racontais, t’avais gagné. Tu m’as gagnée un peu. Parce ça m’arrivait pas souvent. Tu m’avais gagnée mais tu m’as perdue vers la fin. J’ai fini par retomber dans mes anciens patterns de tout garder pour moi jusqu’à exploser. Tu devais t’en rendre compte quand des fois tout d’un coup j’étais fâchée pour rien. Ou tu devais penser que j’étais difficile. Empotée. Feux d’artifices. Anyways. Grande habituée de me consoler toute seule parce que j’avais toujours eu des lovers dans pires états que moi, je devais être la maman. Tourne la cassette de bord, on oublie on oublie. Peux pas m’apitoyer sur mon sort, les mamans ça fait pas ça. Pas l’droit. Combler le vide en mettant le son au maximum sur mon ordi. Je me demandais si un jour mes voisins allaient cogner à ma porte pour me dire de faire moins de bruits, je chantais fort. My heart will go on de Céline, je chantais faux.

Première baise après toi. Pas chanceux, était bonne. La chance de mon côté à moi, pour une criss de fois. Trèfle à quatre feuilles dans la poche de mon jean, patte de lièvre entre les dents. Chanceuse dans ma malchance, je tombais amoureuse vite parce que j’adorais être triste après. Bdsm solitaire, vie d’artiste maudite. Je vais t’aimer pour écrire sur toi, je vais t’aimer pour pleurer un peu.

Mais y’était beau pis fin, on se couchait en cuillère dans son grand lit king, pis chez eux y faisait froid ça fait qu’on était obligés de rester collés toute la nuit. On refourrait le matin. Avant lui j’avais toujours été une lève-tôt matante qui s’couche à vingt-deux heures pour être sûre d’être en forme le lendemain. Y’avait changé toutes mes habitudes. J’étais maintenant une vraie Montréalaise qui s’en calissait tu d’être cernée pour le reste d’la semaine. Y m’callait un uber comme si j’étais Carrie Bradshaw pis j’arrivais chez lui dépasser vingt-trois heures pour qu’on écoute la tv ben collés sur son grand sofa de gars pas pauvre comme moi. Y nous commandait du gros junk food pis y s’arrangeait toujours pour que j’aille un p’tit cocktail de dépanneur qui traîne que’que part parce qu’y savait que j’aimais pas ça la bière. Ça goûte le cul, maux de cœur.

Ça m’avait frappée la force avec laquelle y’avait envie d’moi. Comment y’avait de la misère à garder ses mains sur lui, de son bord. On était dans une seule grosse bulle, la même personne. Masturbation à la chaîne. On s’autosuce, on fait semblant de s’aimer. Juste pour une nuit. Svp.

Sa queue qui me pénétrait pour la première fois, l’étroitesse. Un centimètre à la fois. Les mains sur mes hanches qui serraient fort la chair, le gras, la peau. Les cris. Sa paire d’yeux flottant entre mes jambes comme ceux d’un alligator au-dessus des eaux douces. Marécages, étangs, lacs, rivières, mouillée mouillée mouillée ben raide. J’étais la proie dont il se régalait, sa charogne de Baudelaire. Le contraste entre la rapidité qu’avaient eue ses doigts à me pénétrer pis la lenteur dont ces mêmes doigts avaient fait preuve en descendant le long de ma colonne vertébrale. Mieux que l’air clim en canicule.

C’était pas tes mains, pas tes yeux, pas ta queue, pas tes mots, pas toi du tout. Clash.

Si lui était un alligator, toi t’étais plus un serpent venimeux.

Ses lèvres charnues, pas les cheveux assez longs pour que le vent de dehors les fasse bouger, mais assez pour faire cligner ses grands cils. Ses yeux pas le même brun que les tiens. Caramel qui fond dans la bouche, ça faisait du bien de frencher. De me rappeler que mes lèvres servaient pas juste à gercer à -20. Je sers à quoi.


Pas capable de me passer de Céline. Douce façon de commencer mes matins. À gorge déployée je disais à mes voisins you were my strength when I was weak you were my voice when I couldn’t speak. Je leur disais ça pendant que la cafetière se laissait aller dans mon thermos. Mochaccino, la vapeur s’échappait du contenant métallique pour réchauffer la pièce au complet. J’étais douce dans ma morning routine crème sérum primer concealer bronzer blush j’étais prête pour la journée. I feel that I’m alive I am alive. Déjeuner en scrollant Instagram, encore trop de crêpes dans mon assiette. T’étais où coudonc. Vœu exaucé: tu m’avais envoyé un message. Tu prenais de mes nouvelles. Moi qui rêvais d’être célibataire, Samantha Smith, grosse envie de brailler. Ça m’avait trop prise par surprise que ça finisse, encore mon égo. Être célibataire, oui j’aimais ça. Juste le temps de m’habituer juste le temps de m’habituer. Réhabilitation. Halp. J’avais comme mal partout pis j’me sentais pas encore chez moi. Toutes mes affaires en mottons un peu partout, ramassées en grands tas que j’avais pas l’goût de défaire. Pas tant l’goût de te répondre non plus.

« Ça va correct, toi? »

Les murs sont blancs, j’ai hâte de les salir un peu.

Je savais pas pourquoi je procrastinais à placer mon stock, j’haïssais assez ça vivre dans des boîtes. Je devais encore piger mes outfits dans des gros sacs à vidange ben noirs ‘faitque y fallait toute je sorte du sac pour trouver un seul morceau. C’est pas ça la vie. Ça peut pas être juste ça.

Même avec mes rideaux la lumière passait au travers pour plonger la chambre dans un genre de jaune doré, pour pas dire pisse. J’étais restée dans le rayon, comme un félin, pour profiter du chaud. Mon visage illuminé, mes cheveux derrière les épaules qui pendaient sur mon dos. Pendus. Pâmée devant la grand’ fenêtre. I must be crazy now Maybe I dream too much. Encore Céline en arrière. Les voisins allaient ben finir par se tanner. C’est comme si j’attendais juste ça. Que quelqu’un m’awknowledge. J’existe. Les yeux ouverts face au soleil, je jouais avec le feu. Les iris vert ben ben pâle, du roux qui ressortaient de mes sourcils. C’était brûlant dans ma face et ça contrastait avec la froideur que je savais qui régnait dans l’appartement. Je restais dans mon petit rectangle, safe. Comme une cage au milieu des requins.


C’tait juste le soir que l’alligator me textait. Occupé le jour. Les gars de Montréal étaient occupés en journée, j’avais remarqué. Dormir. Faire semblant de. Un soir par semaine, assez de temps pour te texter. Pourquoi c’est juste les gars dont je me calissais qui avaient autant de temps libres?

« Hey. » Ce mot-là avait fait vibrer le téléphone dans ma poche. Ok, prendre une douche, se crémer, parfumer, maquiller, habiller juste correcte parce que les vêtements duraient pas quand on se faisait texter la nuit par un croco. Beaux dessous par exemple, même si la culotte léopard en grand G-string allait pas rester étampée dans la raie ben longtemps. Placer les cheveux, ça devait sentir bon. Étais-je assez chatte.

Devant chez lui, la porte s’était ouverte illico. J’étais pas entrée tout de suite, continuais de fumer ma cigarette sur son perron. Catwoman, je me laissais un peu désirée.

J’avais commencé à fumer à contre-courant de toi.

« C’est tu un perron même si t’es en appart? » J’avais dit. Lui avait ri, ses yeux plissés en deux croissants heureux. Petit velours, j’ai souri en expirant la boucane qui nous séparait momentanément l’un de l’autre.

« C’est ce que tu veux. Tu peux fumer en dedans aussi, hen. »

J’ai quand même jeté mon mégot sur le trottoir avant d’entrer dans son chez-lui. Dans son monde. Ça faisait crissement changement du miens qui était en construction depuis un mois. Avec mon délire dans l’entrée, j’avais scrappé l’accolade des bonjours. J’ai laissé mon sac traîner avec mon manteau en me demandant ça allait prendre combien de temps avant que nos corps se touchent à nouveau.

Pas longtemps.

Assise sur son sofa, y’était venu directement s’asseoir à côté de moi pour embrasser mon cou. Un bisou qui en demande d’autres, un avant-goût de la soirée.

« Down de boire? »

« Oui. »

Palm Bay pour moi. Il était revenu avec les rafraîchissements qui allaient faire monter la température. Sur le divan, en tout cas. On avait pris une gorgée en même temps, la sienne plus longue que moi. Déjà, il prenait le dessus. J’étais pas sûre de si ça voulait dire qu’il allait m’aimer plus fort ou juste vraiment moins, qu’est-ce qui prenait plus de courage s’abandonner à l’amour ou s’en dissocier? Tourne la cassette de bord, on pense pas à ça on pense pas à ça. Sa main dans mon dos qui finit par me serrer la nuque. Un petit massage, alligator défaisait mes nœuds. Quand sa main a eu fini de me montrer ses prouesses, elle avait descendu le long de ma colonne pour venir entourer ma taille. J’avais mis ma main sur sa cuisse. Ma main qui va-et-vient sur son trackpants, contente qu’il était habillé en mou pour voir à quelle vitesse il devenait dur. J’avais enlevé ma main pour une autre gorgée. Igloo igloo, fallait noyer les papillons dans mon estomac. Igloo, Safia qui chantait dans ma tête pour me relaxer.

J’étais nerveuse pour rien, on allait s’oublier bientôt anyway, je l’savais, j’tais pas si conne que ça.

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